LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
MARECHAL MAISON
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
20 NOVEMBRE 1830
Londres, le 20 novembre 1830
Monsieur le Marechal,
Les choses ici sont dans le même état. M. Brougham fait quelques difficultés pour accepter la chancellerie ; le ministère sera, à ce que l’on dit, définitivement organisé dans la journée. Si cependant quelque changement survenait, je vous le manderais avant de fermer ma lettre.
Vous m’avez paru désirer savoir ce qui me reviendrait ici des dispositions du cabinet de Berlin, pour comparer ce qui m’arrive indirectement avec ce qui vous est officiellement écrit. L’Autriche continue à souffler la discorde en Allemagne ; elle espère par là obliger l’armée fédérale à se mettre en mouvement ou au moins au complet ; elle cherche un prétexte pour porter son armée sur un point ou sur un autre.
M. de Metternich, loin de regretter de n’avoir pas fait quelques sacrifices à l’esprit du temps, est fâché de ne pas l’avoir comprimé davantage ; il n’y renonce point encore. La Russie serait bien près d’être dans la même disposition ; elle fait, et c’est sûr, des armements considérables. Le général Diebitsch se flatte d’en avoir le commandement ; il est toujours à Berlin, essayant, à l’aide des intrigues autrichiennes, du Prince royal et de M. Ancillon, de détruire le crédit de M. de Bernstorff et d’entraîner le Roi à l’intervention armée que désirerait vivement, quoique secrètement, le Roi de Hollande. Dans cet état de choses, on se demande si le changement arrivé ici dans le ministère rendra les cours du Nord plus souples ou plus difficiles. Se croiront-elles capables d’engager la lutte avec un ministère whig, qu’elles n’auront pas l’espoir d’entraîner ; ou bien se croiront-elles obligées de se préparer davantage ? Deviendront-elles plus soupçonneuses, plus irritables ? Se croiront-elles enfin arrivées au point de jouer le tout pour le tout ? Je ne le crois pas ; mais l’on ne sera sûr de rien avant le retour des courriers expédiés depuis vingt-quatre heures sur tous les points du globe.
Je suppose que vous vous êtes arrangé pour être instruit de la première impression qu’aura faite la nouvelle du changement du ministère anglais sur tous les cabinets.
Recevez, Monsieur le Maréchal, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
P. S. – M. Brougham a décidément accepté ; ainsi il est Lord chancelier ; le marquis de Wellesley y remplace le duc de Buckingham comme Lord High Steward de la maison du Roi. Il est probable que c’est lord Granville qui remplacera lord Stuart ; mais rien n’est encore fait à cet égard. C’est demain ou au plus tard après-demain que le nouveau ministère doit être présenté au Roi.
in CORRESPONDANCE AMBASSADE DE LONDRES 1830-1834