LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
28 JANVIER 1834
N° 8
Londres, le 28 janvier 1834
Monsieur le duc,
J’étais hier avec lord Grey et lord Palmerston lorsqu’ils ont appris l’entrée du général Saldanha à Leirya ; vous en trouverez tous les détails dans le Times d’aujourd’hui ; on la considère ici comme une affaire dont tous les résultats sont importants, mais qui porte dans ses détails un caractère de férocité qui fait désirer vivement de voir finir la lutte dont le Portugal est le théâtre. Il parait certain que le général Saldanha ne s’arrêtera pas à ce succès et qu’il doit immédiatement marcher sur Coïmbre afin de combiner son mouvement avec le corps d’armée de celui de Terceira. Ces nouvelles sont du meilleur augure pour la solution d’une question dont vous le savez, Monsieur le duc, le cabinet britannique avait été fort préoccupé depuis quelque temps ; elles répondent aux alarmes des partisans d’une intervention immédiate en Portugal, et elles ont produit, pour le moment, la renonciation, de la part des ministres anglais à toute idée d’action directe et matérielle sur les affaires de ce pays.
Tout ce qui revient ici de Pétersbourg indique que la Russie a le dessein de fortifier par quelques actes ses récentes protestations ; il paraitrait que les corps d’armée de la mer Noire et de la Baltique vont être diminués et que plusieurs bâtiments seront désarmés. Si l’on ajoute à ceci la nouvelle que lord Palmerston vient de recevoir d’Alexandrie que le Pacha d’Egypte fait vers l’extrémité de la mer Rouge et qui lui donne des embarras de plusieurs genres, financiers et autres, nous avons lieu de nous rassurer un peu sur le sort momentané de l’empire ottoman. Cette entreprise du Pacha est une sorte de diversion aux tentatives qu’il aurait pu renouveler en Asie mineure et auxquelles son fils serait très disposé à l’entrainer ; il se prive par-là d’un corps de 15 000 hommes et il a perdu les services de plusieurs officiers qui étaient opposés à cette expédition.
J’ai vu par les journaux allemands que la première séance des plénipotentiaires des états allemands à Vienne a eu lieu ; il est probable qu’elle n’a été remplie que par quelques arrangements préliminaires de forme. Je ne pourrais connaitre ce qui se passe à Vienne à ce sujet que par des versions allemandes si vous n’aviez la bonté de m’en instruire vous-même.
Je remettrai le 5 du mois prochain à S. M. britannique les lettres que LL. MM. le Roi et la Reine lui ont écrites à l’occasion de la naissance de la fille du duc de Cambridge.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13