LETTRE
DU PRINCE DE TALLEYRAND
AU
DUC DE BROGLIE
MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
EN DATE DU
10 MAI 1833
N° 110
Londres, le 10 mai 1833
Monsieur le duc,
Je viens d’avoir une conférence avec lord Palmerston et le ministre de Prusse M. le baron de Bülow qui nous avait annoncé vouloir nous faire une communication de la part de sa Cour. M. de Bülow nous a d’abord prévenu qu’il avait reçu depuis plusieurs jours des dépêches de Berlin par lesquelles on le chargeait de nous faire part des vues du gouvernement prussien sur la marche à donner à la négociation des affaires hollando-belges ; qu’il avait différé de le faire jusqu’à aujourd’hui parce qu’il supposait que le courrier de La Haye qui est arrivé ce matin apporterait à M. Dedel des instructions pour nous soumettre un nouveau projet du cabinet néerlandais et que c’était ce projet qu’il devait appuyer près de nous ; mais que comme M. Dedel n’avait rien reçu il ne se croyait pas autorisé à retarder plus longtemps la communication dont il s’agit.
M. de Bülow nous a alors fait connaitre la rédaction relative à l’armistice et aux autres points dont M. Bresson vous a rendu compte, Monsieur le duc, par sa dépêche du 28 avril.
Après avoir écouté l’exposé qu’il nous a fait des observations de sa Cour sur tous les points, nous lui avons dit que la nouvelle rédaction pour l’armistice était beaucoup moins claire et par conséquent beaucoup moins franche que celle contenue dans nos notes du 2 et du 22 avril ; et que d’ailleurs nous étions surpris de la direction que l’on voulait donner à cette affaire, car on pouvait la réduite à ceci : c’est que la Prusse nous proposait de nous engager, vis-à-vis d’elle, sans que le roi des Pays-Bas se fût engagé vis-à-vis de nous. Nous pensons, avons-nous dû lui dire, qu’il eût été plus naturel que le cabinet de Berlin employât son influence pour faire faire par la Cour des Pays-Bas la proposition qu’il nous faisait aujourd’hui au nom de la Prusse ; car elle aurait eu alors un caractère officiel qu’elle n’a pas sous sa forme actuelle, inconvénient grave à nos yeux puisqu’en cas de non succès toute la responsabilité retomberait sur nous.
En résultat M. de Bülow a dû nous quitter avec l’idée que la démarche que lui faisait faire son cabinet vis-à-vis de nous était plutôt inconvenante, mais que nous ne refuserions pas d’accepter avec la Hollande une négociation placée sur le terrain proposé par la Prusse.
J’ai reçu la dépêche que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser sous le N° 56.
Agréez, Monsieur le duc, l’assurance de ma haute considération.
Ch. Mau. TALLEYRAND.
MAE - ARCHIVES DE NANTES - AMBASSADE DE LONDRES - SERIE K - CARTON 13